Hannah a donc bien vu que Jason avait de la difficulté à se faire accepter dans leur petite ville de la Colombie-Britannique. Artiste-interprète né qui aimait danser, son frère n’a été accepté par aucune troupe ou école de danse de sa région. Ayant commencé les cours de danse très jeune, Hannah a ressenti une grande frustration devant cette injustice. « Je trouvais cette situation plutôt triste, autant pour Jason que pour les spectateurs. Ils manquaient quelque chose sans même le savoir. »

Plus tard, Hannah est passée par l’école du Royal Winnipeg Ballet, mais elle n’a pas aimé cet environnement exigeant et stressant. Elle est donc retournée en Colombie-Britannique pour finir ses études secondaires, avant de s’installer à Ottawa pour travailler à l’Arche, une organisation qui crée des communautés inclusives. Elle vivait avec cinq personnes ayant une déficience intellectuelle dans une habitation partagée où « chacun faisait tout ».

Quelques années plus tard, alors chef de famille monoparentale, Hannah a été frappée de constater que les enfants d’Ottawa n’avaient pas des chances égales de s’épanouir. Elle a alors décidé de réunir sa passion pour la danse avec sa passion pour la justice sociale dans un même projet. Elle s’est lancée à petite échelle en démarrant des cours de danse réservés aux filles au centre communautaire de son quartier. Elle ne voulait pas enseigner le ballet jazz ni le ballet classique. Elle ne cherchait pas des élèves avec un corps parfait qui porteraient des costumes originaux. Hannah voulait seulement que ses cours donnent aux filles « un espace où elles pourraient être elles-mêmes » et qui leur permettrait de
« créer leurs propres chorégraphies ». Deux ans plus tard, elle avait 120 élèves et des listes d’attente.

« … un espace où elles pourraient être elles-mêmes »

En 17 ans, la troupe Dandelion Dance est devenue une institution. Aujourd’hui, 75 filles ou personnes s’identifiant comme des filles, dont l’âge varie entre 6 et 18 ans, suivent maintenant les cours de la troupe qui en a sélectionné 12 pour former une compagnie de danse. Pour choisir ses élèves, la troupe n’exige aucune expérience en danse, et Hannah ne fixe aucun quota.

« Je veux des filles intéressées qui ont l’esprit ouvert, qui veulent faire évoluer les choses », explique la jeune femme. Grâce à des subventions et à des dons remis à l’organisme, environ le tiers des filles reçoivent une bourse pour participer au programme de Hannah. Mais comme la demande est toujours très forte, Hannah rêve de pouvoir un jour accepter toutes les filles qui frappent à la porte.

Les cours sont structurés comme des familles où chaque professeure reste avec le même groupe jusqu’à la fin du programme. Comparable à ce que Hannah a vécu à L’Arche, cette façon de faire favorise la confiance et le respect, ce qui crée un environnement où toutes sortes de sujets sont abordés – image corporelle, pauvreté, racisme, et même maltraitance. Hannah s’émerveille encore et toujours de voir la créativité des filles qui prennent leurs expériences souvent douloureuses pour en faire des mouvements et moments de beauté. Se produisant chaque mois dans des universités et des écoles, au Parlement et à des conférences internationales, la compagnie de danse est souvent saluée par une longue ovation.

Hannah se souvient d’une élève qui avait tellement honte de vivre dans la pauvreté qu’elle a demandé de faire partie de la troupe dans les coulisses seulement. Cette élève est sortie de l’ombre petit à petit pour en arriver à monter une chorégraphie où elle dansait vêtue d’un costume blanc éclaboussé de peinture, évoquant de très grands efforts pour atteindre des sacs à provisions — qui contenaient de la nourriture et d’autres articles — placés à l’autre bout de la scène. Un spectateur a été tellement ému par sa performance qu’il lui a offert de payer ses études universitaires. Elle termine maintenant la quatrième année du programme de travail social à l’Université de Calgary.

Des gestes comme celui-là sont peut-être exceptionnels, mais il est certain que Dandelion Dance change profondément la vie de toutes les filles qui font le programme. Hannah voit des amitiés naître entre des filles qui ne se seraient jamais rencontrées autrement. Elle voit des filles qui sont aujourd’hui fières de leurs imperfections alors que les médias sociaux les poussaient à toujours paraître photogéniques. Elle voit surtout une communauté qui ne se contente pas de parler d’inclusion, mais qui la concrétise dans tout ce qu’elle fait.

Hannah Beach, fondatrice et codirectrice administrative de Dandelion Dance
Quelques années plus tard, alors chef de famille monoparentale, Hannah a été frappée de constater que les enfants d’Ottawa n’avaient pas des chances égales de s’épanouir.

Dandelion Dance a complètement séduit les personnes présentes au symposium de 2017 organisé par la Commission à Ottawa en septembre, sous le thème « Au-delà des étiquettes ». La troupe de jeunes danseuses a conquis les spectateurs et les spectatrices en leur livrant une interprétation puissante et émouvante de questions clés au coeur de l’événement et des autres activités prévues pour souligner l’année du 40e anniversaire de la Commission : Les étiquettes nous donnent un élan ou nous écrasent? Est-ce que les étiquettes nous donnent du pouvoir ou nous freinent? Quel rôle joueront les étiquettes dans le domaine des droits de la personne pour les 40 prochaines années?